Deux anecdotes rappelées par Guy Point
Mutinerie
Pendant l’hiver 1960/1961, une épidémie de grippe a sévi durement au petit séminaire de Chavagnes. Tous les bains de pieds que prodiguait la sœur infirmière aux élèves fiévreux avaient été voués à l’échec et le virus s’étendait largement et particulièrement aux classes de sixième et de cinquième. Fut lors prononcé par l’autorité un « licenciement » pour cause sanitaire renvoyant à leurs domiciles tous ces élèves pour une période indéfinie.
Bien sûr, cette décision considérée comme injuste par les quatrièmes restant seuls dans l’établissement a engendré des réactions de mécontentement. Celles-ci furent orchestrées par quelques-uns.
En fin de récréation, au moment de constituer les rangs au bas de l’escalier avant de rejoindre l’étude, la consigne est donnée d’avancer au pas cadencé, levant le genou très haut et martelant le sol de façon rythmée. Ainsi, nous entreprenons de monter l’escalier, traverser le couloir et rejoindre nos places, continuant d’imprimer notre mouvement d’humeur en tapant du pied en cadence au lieu de nous asseoir.
Notre surveillant, l’abbé Raymond Gadé, grand séminariste surtout affairé à trouver les bonnes réponses du concours Ouest-France cache sa timidité et son indécision derrière son journal.
Devant l’insistance du mouvement, il s’absente de l’étude, accentuant ainsi l’ampleur de la grogne et du niveau sonore de la manifestation. Il revient quelques minutes plus tard assisté du P. Loïc de Boisdavid, l’autorité disciplinaire du petit séminaire. Du haut de son 1,90 m, celui-ci impose le silence en quelques mots bien sentis et avec toute la froideur que lui confère son aura, il tue dans l’œuf ce début de « mutinerie » et… la progression du virus.
Les quatrièmes ne partiront jamais en licenciement sanitaire… Les instigateurs du mouvement ont peut-être trouvé dans cet événement des raisons de militer ensuite pour des causes plus défendables !!!
L’Harmonium
Qui ne se souvient de Mr Boiffin ? Cet homme d’âge respectable mais pas toujours respecté était le seul représentant du monde séculier au sein du corps enseignant exclusivement constitué d’ecclésiastiques. On lui avait dévolu la tâche d’enseigner les sciences physiques et naturelles. Il n’était sans doute pas dépourvu de savoir et de diplômes, mais n’avait probablement pas été formé aux subtilités de l’art pédagogique, à tel point que ses cours passaient à mille lieues au dessus de nos têtes, nous barbaient ou nous rasaient proprement (au choix…).
Il fallait donc trouver d’autres centres d’intérêt pour animer ces heures entières où notre esprit avait de la peine à accrocher la science de notre docte professeur. Des initiatives privées nombreuses d’élèves égayant ces cours nous les faisaient finalement attendre avec impatience : de quelle manière allions-nous prendre encore une belle bosse de rire ?
Je relève ici une initiative collective en classe de Quatrième 1.
Les cours d’harmonium que nous prodiguait Pépé Aumont dans les cases ad hoc nous avaient largement martyrisé les doigts mais tout de même inculqué quelques rudiments de solfège. A l’entre-cours, forts de cet avantage, avec mon compère Gilbert Lucas et d’autres, nous avons entrepris de coincer le LA et le SI bémol de l’harmonium qui se trouve dans le dos du professeur à gauche du tableau. Une ficelle attachée au pédalier de la soufflerie et passée discrètement le long du mur derrière les radiateurs rejoignait le dernier rang de la classe.
Depuis ce poste stratégique, nous pouvions opérer : à un moment du cours où l’intensité du chahut avait baissé, Gilbert et moi-même tirions de toutes nos forces sur la ficelle pour lancer l’instrument à vent qui se mit à émettre un son strident déclenchant l’hilarité de tous les élèves.
- Qu’est-ce qui joue de l’harmonica, s’époumone Mr Boiffin, cherchant désespérément d’où venait le bruit ?
- Monsieur, ce sont les petits oiseaux qui sifflent à l’extérieur, répondis-je … !!!
- Eh bien, POINT, fermez cette fenêtre et poursuivons le cours… !!!
Je m’exécutai sur-le-champ, heureux d’avoir berné la perspicacité de notre professeur et d’avoir sauvé la classe d’une punition collective ; je suis encore heureux aujourd’hui d’avoir initié alors une émancipation visant à se donner de l’air dans une vie communautaire pas évidente à supporter